Le Grand-Bornand Versant Durable selon Anne Barrioz

ANNE BARRIOZ
Agrégée et docteure en géographie Chercheuse associée au laboratoire EDYTEM (CNRS-USMB) Auteure d’une thèse sur l’attractivité de huit vallées alpines françaises, accessible gratuitement en ligne et à paraître à l’automne 2021 aux Presses Universitaires de Grenoble.
 
 
« CE QUI PLAÎT DE FAÇON PÉRENNE, C’EST PRÉCISÉMENT LES VALEURS ET LE SENS, L’AUTHENTICITÉ ET LA QUALITÉ HUMAINE ET ENVIRONNEMENTALE DES LIEUX »

Alors que la conjoncture actuelle a limité les fréquentations de grandes stations de ski comme en Tarentaise, Le Grand-Bornand a su tirer parti de ses atouts de village de montagne pour continuer à attirer des touristes pendant l’hiver 2020-2021. S’élevant à 64% au nouvel an, le taux d’occupation de la station montre les capacités de la commune et de ses habitants à continuer à accueillir malgré les difficultés. Si les actions de solidarité et la capacité du territoire à s’adapter ont été réelles comme l’attestent l’initiative Grand’Bo Solidaire, les spécificités de la commune organisée autour d’un village principal représentent depuis une petite dizaine d’années un potentiel d’attractivité majeur, au même titre que quelques autres vallées des Alpes françaises.

La crise multiple (sanitaire, économique, culturelle, sociale, etc.) que nous vivons depuis le printemps 2020 a révélé au grand jour ce qui était déjà observé dans des villages alpins. En effet, s’ils sont des confins du territoire national, influencés par des dynamiques politiques et économiques multiples, ces villages ne peuvent être considérés uniquement comme des espaces de consommation ponctuelle. Au contraire, en se distinguant des normes en matière de modes de vie, d’organisation voire d’économies, ils peuvent être interrogés comme des espaces pleinement complémentaires des villes, dont l’attractivité tant vantée depuis le XIXe siècle est aujourd’hui remise en cause par un exode urbain de plus en plus présent. L’uniformisation des économies et des modes de vie fait généralement perdre le caractère de nos territoires.
  • Le vieux village du Chinaillon et sa chapelle - © C. Hudry
  • Le hameau des bouts en été - © C. Cattin - Alpcat Médias

En 2021, elle fait fuir. Or, ces villages constituent depuis toujours des espaces de vie à part entière, spécifiques et singuliers. D’ailleurs, Le Grand-Bornand semble un préalable à la durabilité notamment parce que son attractivité est basée sur ses propres atouts, sur ce qui le rend unique et construit sa véritable identité, au-delà de son caractère montagnard et plus ou moins isolé. Ces villages attirent justement parce qu’ils sont autres. Car aujourd’hui, ce qui plaît de façon pérenne, c’est précisément les valeurs et le sens, l’authenticité et la qualité humaine et environnementale des lieux. Le cadre et la qualité de vie dont ces territoires disposent, constituent précisément un des principaux facteurs d’attractivité de demain, que ce soit pour l’économie touristique comme résidentielle, ou celle que nous n’avons pas encore inventée. Contrairement à ses voisins dans les vallées de l’Arve, de la Tarentaise et du Briançonnais, un village comme Le Grand-Bornand a encore les clés pour valoriser ce qui va sans doute être de nouveau attractif pour une majorité de la population : des villages et des bourgscentres à taille humaine ; des territoires où une vie locale est envisageable à long terme et sans avoir besoin d’effectuer des trajets de plusieurs heures quotidiennes ; des espaces relativement préservés où l’accès à une « nature », bien que souvent anthropisée, soit encore envisageable à proximité ; un territoire accueillant, fort d’un tissu associatif et d’un réseau d’acteurs dynamiques participant à l’établissement d’une économie diversifiée, basée sur des échanges locaux et plus larges, et au service de la population, etc.

Ainsi, il parait important de placer ces villages au regard des aspirations individuelles et collectives, ainsi que des changements actuels (environnementaux, sociétaux, etc.). Interroger le rôle des évolutions climatiques, notamment par l’augmentation des températures en basse vallée favorisant les migrations vers des villages plus en altitude est une perspective qu’il semble aussi nécessaire de prendre en compte. La question de la pollution de l’air favorisant le départ d’habitants vers d’autres vallées, comme c’est le cas de la vallée de l’Arve vers le Haut-Giffre, questionne la durabilité environnementale de ces villages de montagne qui, au-delà d’être de plus en plus attractifs pour une économie et des retombées à l’année, devront nécessairement se projeter à l’horizon 2050 pour garder leurs spécificités, gérer cette attractivité et favoriser la durabilité. La capacité d’innovation des territoires de montagne n’est plus à prouver. Alors, sortons de la norme et des sentiers battus, valorisons nos propres atouts et savoir-faire, laissons la place à la créativité, à l’imagination et l’intelligence collective, en toute bienveillance, pour le bien de tous et du territoire local.



Pour aller plus loin : CIPRA (2017), Habiter et travailler dans les Alpes https://www.cipra.org/fr/dossiers/habiter-et-travailler-dans-les-alpes,
L. Laslaz (2015), Atlas Savoie Mont-Blanc. Au carrefour des Alpes, des territoires attractifs, Autrement, p.95 Revue de géographie alpine (2011), Processus de migration dans les régions de montagne, et en particulier dans les Alpes, n°99-1 (https://journals.openedition.org/rga/1335).